Les minerais de la transition énergétique et numérique : une opportunité pour l'Afrique?

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Question de développement

Synthèse des études

et recherches de

l’AFD

DÉCEMBRE 2023 N° 68

Les minerais de la transition énergétique et numérique : une opportunité pour l’Afrique ? Avec l’accélération de la transition énergétique et numérique, les besoins mondiaux en minerais critiques connaissent une croissance exponentielle ces dernières années. L’Afrique, qui dispose de larges réserves encore assez peu exploitées, espère profiter de cette opportunité pour soutenir sa trajectoire d’industrialisation, basée sur une transformation locale plus importante de ses minerais, et jouer un rôle accru dans les chaînes de valeur internationales des technologies vertes. Cependant, ces ambitions doivent être analysées au regard des réalités géologiques et économiques de chaque projet ainsi qu’au regard des spécificités politiques et environnementales de chaque pays. L’Afrique devra également intégrer le risque industriel, résultant de possibles évolutions technologiques rapides, et le risque commercial avec la montée en puissance du « protectionnisme vert ». Auteurs Philippe BOSSE (AFD) Julien GOURDON (AFD) Hugo LAPEYRONIE (AFD) Emilie NORMAND (IFPEN)

Le continent est incontournable sur un certain nombre de minerais critiques Les « minerais critiques » englobent une série de minerais essentiels à la construction des infrastructures de la transition énergétique et numérique : panneaux solaires, éoliennes, véhicules électriques, écrans tactiles, ou encore les systèmes de stockages de données. Plusieurs listes de ces minerais ont été établies sur la base d’hypothèses spécifiques concernant les prévisions de demande à venir des différents pays et leurs disponibilités. Nous retenons ici les minerais suivants : le lithium, le cuivre, le cobalt, le graphite, le nickel, la bauxite, le manganèse, le zinc, le platine et les terres rares. Les données de références produites par l’USGS (United States Geological Survey) montrent que l’Afrique dispose d’une véritable position dominante sur quatre minerais critiques en particulier : Cobalt : l’Afrique est le leader mondial incontesté du cobalt, avec plus de 50 % des réserves mondiales. Plusieurs pays disposent de ressources (Madagascar, Zambie, Ouganda, Maroc) mais l’essentiel des ressources se situe en République Démocratique du Congo (RDC). En 2020, la RDC exploite les quatre plus grandes mines de cobalt au monde et assure plus de de 70 % de la production mondiale ; Manganèse : en 2022, le continent africain détenait plus de 58 % des réserves mondiales. L’Afrique du Sud et le Gabon sont les deux premiers producteurs mondiaux du minerai et contribuent à la moitié de la production mondiale. Le Gabon abrite la plus grande mine de manganèse au monde ; Chrome : l’Afrique est le premier producteur mondial de chrome, avec l’Afrique du Sud en tête, suivi du Zimbabwe ; Platine (PGM) : les métaux du groupe du platine sont principalement produits en Afrique du Sud, qui est le premier producteur de palladium et de platine, avec respectivement 43 % et 73 % de la production mondiale (90 % des réserves de platine se trouvent en Afrique du Sud). Le Zimbabwe détient les troisièmes réserves mondiales.

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Graphique 1 - Poids relatif de l’Afrique durant la période 2018-2021 (%) 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

Manganèse

Chrome

Cobalt

PGM

Bauxite

Part réserves mondiales (vol.) Part exportations mondiales (val.)

Graphite

Cuivre

Nickel

Zinc

Part production mondiale (vol.) Part investissements mondiaux (val.)

Source : USGS (réserves et production), UN Comtrade (exportations), S&P (investissements)

L’Afrique est également présente dans une moindre mesure sur cinq autres minerais critiques. Bauxite : le sous-sol guinéen représente 23,8 % des réserves mondiales en 2022 et un quart de la production mondiale ; Cuivre : des gisements notables se trouvent dans le sud de l’Afrique, la RDC et la Zambie (qui détiennent les 7e et 11e réserves mondiales connues respectivement), mais aussi en Mauritanie, au Mali, au Maroc et en Égypte. Malgré une croissance de la production de cuivre au cours de la dernière décennie, le continent ne représente qu’un peu plus de 13 % de la production mondiale. Toutefois, la RDC pourrait devenir le deuxième producteur mondial avec la mise en exploitation de mines découvertes récemment ; Graphite : l’Afrique contribue à hauteur de 20 % à sa production et aux réserves mondiales, avec le Mozambique en tête. De nombreux pays en Afrique de l’Est (Tanzanie, Madagascar) devraient devenir des producteurs additionnels importants avec l’ouverture de plusieurs gisements récemment identifiés dans ces pays ; Nickel : le continent est aujourd’hui un modeste producteur, surtout représenté par l’Afrique du Sud et Madagascar. Toutefois d’importants gisements sont connus en Tanzanie et au Burundi et pourraient être mis en valeur prochainement ; Zinc : l’Afrique ne représente que 4 % de la production mondiale. L’Afrique du Sud représente 30 % de la production du continent et sa production ne cesse de croître.

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Une opportunité pour utiliser ce changement de rapport de force et lancer un nouvel agenda de « transformation » des minerais sur le continent La place centrale du continent africain sur certains minerais critiques incite les gouvernements des pays producteurs à proposer aux investisseurs de transformer les minerais sur place afin de créer davantage de valeur ajoutée et susciter des retombées économiques locales ou régionales. Cette politique domine l’agenda du Centre pour

le développement des minéraux en Afrique situé au sein de l’Union Africaine, chargé de la vision du secteur minier en Afrique. Avec le temps, la plupart de ces projets pourraient devenir réalités et fonctionner de manière pérenne. Pour certains pays moins bien dotés, il pourrait s’agir, dans un premier temps et à une échelle plus modeste, d’enrichir l’offre de fournisseurs de produits et de services à destination des sociétés minières (véhicules de transport, pièces de rechange, restauration, ressources humaines). Ce développement de l’offre pourrait s’accompagner d’exigences contractuelles de contenu local qui favoriserait le recours à des entreprises locales. Sans posséder nécessairement le statut ou le potentiel économique du raffinage, cette offre de services et de prestations participerait toutefois au renforcement des chaînes d’approvisionnement locales amont essentielles tout en renforçant les co-bénéfices de l’exploitation minière sur le continent.

Une trop faible transformation des minerais sur le continent à l’heure actuelle

Dans l’optique de profiter davantage des ressources minières, le développement d’une industrie de transformation locale des minerais permettrait aux pays producteurs de tirer plus de bénéfices de l’extraction minière (qui rapporte peu par rapport aux autres étapes de la chaîne de valeur) et de mettre en place une industrialisation du continent attendue depuis longtemps. L’exemple du cuivre est particulièrement illustrateur des défis à relever.


Graphique 2 - Production et exportation en 2020 (M USD) 18 000 16 000 14 000 12 000 10 000 8 000 6 000 4 000 2 000

Exportation

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Transformation

Source : S&P et UN Comtrade

Transformation du cuivre

Le cuivre produit en Afrique est peu exporté sous sa forme brute. La RDC et la Zambie disposent d’importantes capacités de « smelting » (fonderie), étape avant le raffinage. Le cuivre est le plus souvent transformé en anode avant d’être exporté [1]. Les deux pays possèdent aussi des capacités de raffinage. Toutefois, cela n’est pas suffisant pour développer l’activité de transformation, qu’il s’agisse du nombre de raffineries sur le continent ou de la capacité de raffinage des unités. Le coût de la fonte du minerai – qui permet la transformation du concentré de cuivre en métal – est actuellement très bas au niveau international. Cela peut profiter aux producteurs africains ne disposant pas de fonderies sur place ; ils peuvent envoyer leurs concentrés à l’étranger, en particulier en Chine, pour les y transformer à moindre coût. Au final, la Zambie et la RDC ne transforment qu’une petite partie de leur production de cuivre. En outre, si la production minière a augmenté dans les années 2010, la part des exportations de produits semi-finis a, elle, diminué. En 2017, les exportations de produits semi-finis représentaient moins de 2 % des exportations de cuivre zambien en valeur. Pour la RDC, elles étaient inférieures à 0,5 %, contre plus de 4 % de 2003 à 2005. L’Afrique du Sud est un petit producteur de cuivre par rapport à ces deux pays, mais elle exporte davantage de produits semi-finis.

Un continent pas (encore) prêt pour la production de batterie

L’ambition de certains pays africains s’étend jusqu’au domaine des batteries à destination des véhicules électriques. Les chaînes de valeur sur les batteries seront plus viables s’il existe un marché à proximité. Malheureusement, la faible accessibilité financière et le manque d’infrastructures signifient que le marché africain des véhicules électriques devrait rester limité pendant de longues années.

[1] La RDC envisageait même de bannir les exportateurs de minerais bruts.

Il existe un potentiel plus important des véhicules électriques à deux ou trois roues – qui utilisent des batteries au lithium, au fer et au phosphate – sur le marché africain. Les industries basées sur la chimie des batteries pourraient ainsi être viables. Les investissements nécessaires dans les usines de fabrication de cellules pourraient être facilités par un soutien aux fabricants nationaux, par de nouvelles découvertes de lithium et par une coordination régionale sur son raffinage. Ainsi, on voit se développer des projets de production de batterie dans la zone RDC-ZambieZimbabwe avec la perspective de créer des véhicules deux ou trois roues électriques pour le continent.

Les politiques pour inciter à la transformation Contrôler les exportations

L’enjeu pour le continent est de développer la transformation du minerai sur place afin de créer davantage de valeur ajoutée dans les économies. La stratégie adoptée par certains pays africains est d’essayer de forcer la main aux compagnies minières en imposant des restrictions sur les exportations de matières premières non transformées afin de favoriser les industries locales en aval. Le nombre de restrictions similaires à celles imposées par exemple en Guinée sur la bauxite et le fer, ou au Zimbabwe sur le chrome brut et le lithium, a augmenté depuis 2009 sur le continent : on en compte presque 2 500 en 2021 (contre 1 000 en 2009) (interdiction, quotas, taxes ou licences d’exportation). Fliess et al. (2017) analyse l’utilisation de mesures de contrôle des exportations pour le manganèse au Gabon, le plomb en Afrique du Sud, le cuivre en Zambie et la chromite au Zimbabwe. Les résultats suggèrent que ces restrictions à l’exportation pour favoriser la transformation au niveau local ne sont pas efficaces. En outre, les mesures peuvent parfois dégrader la performance globale des industries du fait de la dégradation de l’exportation des minéraux extraits.


Favoriser les zones économiques spéciales (ZES)

Un problème majeur de la transformation locale est celui du financement. Les États ont besoin d’attirer, comme le Zimbabwe par exemple, des investisseurs pour construire des usines. Les recettes directes pourraient être plus grandes si plusieurs pays s’associaient pour développer de véritables filières de référence. C’est dans ce contexte que l’on voit émerger des projets de ZES. Ces dix dernières années, des dizaines de nouvelles ZES ont été créées pour répondre aux besoins de l’industrie minière. En Afrique du Sud par exemple, la « Platinum Valley » cherche à révolutionner la production africaine de piles à hydrogène. La Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) et la banque d’affaires Afreximbank se sont récemment associées à travers un accord-cadre pour établir une ZES pour la production de batteries et de véhicules électriques en RDC et en Zambie.

Accroître la taille du marché local

peu d’énergie (34 kWh par tonne métrique pour la bauxite par exemple), les processus qui transforment le minerai en produits raffinés sont le plus souvent très énergivores (plus de 3 000 kWh par tonne métrique de produit raffiné pour le bauxite – Farjana et al., 2019). C’est pourquoi la plupart des grandes raffineries de minerais se trouvent dans des endroits où l’énergie est disponible et peu coûteuse : hydroélectricité (Brésil, Canada), charbon (Australie, Chine) et gaz naturel (Bahreïn, Émirats arabes unis). L’autre obstacle est l’insuffisance des transports terrestres. Le transport des minerais en vrac représente des coûts importants et des chaînes de logistiques spécifiques (trains, conteneurs, camions, aire de stockage, installations portuaires spécialisées, portiques de contrôle et de douanes, etc.). Les réseaux de transport en Afrique sont souvent anciens ou inexistant et demandent à être réhabilités ou développés pour supporter les trafics courants et absorber les nouveaux flux minéraliers très importants.

Autre défi à l’émergence d’une industrie de transformation : l’absence d’un marché local suffisant pour justifier la création et le développement d’unités de transformation et de chaînes de valeurs locales. Aucun pays africain ne possède à lui seul tous les minéraux nécessaires à la production de batteries. Mettre en commun leurs approvisionnements en minéraux pourrait permettre d’atteindre les échelles nécessaires. L’agenda de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (Zlecaf) peut proposer un cadre intéressant pour ces transformations.

Conclusions et recommandations

En soutenant le commerce intra-africain de minerais transformés, la ZLECAf pourrait aussi contribuer à faire progresser l’industrialisation de l’Afrique et réduirait sa dépendance à l’égard des produits de base importés.

Toutefois, l’Afrique fait face à deux risques émergents. Tout d’abord, un risque industriel résultant de possibles évolutions technologiques rapides, notamment dans le domaine des batteries. Un risque commercial ensuite, avec la montée en puissance du « protectionnisme vert » au sein des grandes économies, s’exprimant en particulier au travers de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis et au Critical Raw Material Act en Europe. Ces initiatives pourraient désavantager les pays africains pour favoriser leurs propres filières nationales. Des alliances sont donc à bâtir au niveau des pays africains et aussi au niveau international. L’Europe, le Japon et les États-Unis multiplient les offres de partenariats dans un esprit « gagnant – gagnant » qu’il faudra juger au fil du temps.

Cependant des défis majeurs en termes d’infrastructure Les besoins énergétiques importants des usines de transformation représentent un obstacle de taille pour de nombreux pays africains. Est-ce que le développement d’une industrie locale de la transformation à vocation internationale se ferait au détriment des besoins de la population ? Alors que l’extraction consomme relativement

Le continent africain dispose de perspectives de création de valeur encourageantes mais pas acquises. Pour réussir son pari, le continent a besoin de renforcer sa position sur le marché des matières premières minérales, d’exploiter ses avantages comparatifs (notamment ses faibles émissions de GES) et d’améliorer ses infrastructures, ses systèmes énergétiques et ses conditions générales d’investissements.

Bibliographie Farjana S. H., Huda N. et Mahmud M. P. (2019), « Life cycle assessment of cobalt extraction process », Journal of Sustainable Mining, 18(3), p. 150-161. Fliess B., Idsardi E. et Rossouw R. (2017), « Export controls and competitiveness in African mining and minerals processing industries », OECD Trade Policy Papers, No. 204, OECD Publishing, Paris. Agence française de développement (AFD) 5, rue Roland Barthes | 75012 Paris | France Directeur de la publication Rémy Rioux Directeur de la rédaction Thomas Mélonio Création graphique MeMo, Juliegilles, D. Cazeils Conception et réalisation eDeo-design.com

S&P Global Market Intelligence [2023], SNL metals and mining database, consultée en juillet 2023.

U.S. Geological Survey (2023), Mineral commodity summaries 2023, US Geological Survey, Reston.

United Nations Statistics Division, base de données UN COMTRADE International Merchandise Trade Statistics, http://comtrade.un.org/

Dépôt légal 4e trimestre 2023 | ISSN 2271-7404 Crédits et autorisations Licence Creative Commons CC-BY-NC-ND https://creativecommons.org/licenses/bync-nd/4.0/ Imprimé par le service de reprographie de l’AFD.

Les analyses et conclusions de ce document sont formulées sous la responsabilité de ses auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’AFD ou de ses institutions partenaires.

Pour consulter les autres publications de la collection QDD : https://www.afd.fr/collection/question-de-developpement


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